“Ecologie sans transition” : une lecture critiqueClés pour comprendre

16 février 2021

L’ouvrage collectif “Ecologie sans transition” (1) appelle à une véritable rupture plutôt qu’à une transition écologique jugée trop consensuelle et trop lente. On y lit quelques piqûres utiles et un peu de binarité stérile. Mais pas un remède miracle.

Cet ouvrage est radical. Et il le revendique. C’est d’ailleurs sans doute sa plus grande force, et sa principale faiblesse.

Sa faiblesse, d’abord : à forcer le trait et à souvent refuser la nuance, les auteurs et autrices tombent parfois dans la caricature. Comme celle qui opposerait artificiellement la « vraie écologie » (politique et culturelle) et les comportements individuels d’écoconsommation. Pour sortir de cette vision binaire, on vous conseille plutôt les travaux d’Emeline de Bouver (Ecotopie).

On notera aussi plusieurs contradictions, au fil des pages d’« Ecologie sans transition ». Peut-être l’effet d’un ouvrage collectif écrit à plusieurs mains non identifiables, regroupées sous le collectif Désobéissance Ecolo Paris. Celui-ci rassemble des membres d’horizons variés mais influencés par les expériences des ZAD et d’Extinction Rebellion, et initiateurs des premières grèves étudiantes pour le climat à Paris.

Un ouvrage inégal donc, où on trouve du très bon et du moins pertinent, du assez précis et du très vague. Ces 200 pages devraient néanmoins intéresser les citoyen·nes déjà bien investi·es dans l’écologie, en les invitant à sortir des larges ornières toutes tracées de l’écologie douce et mainstream, celle de la « transition écologique », du moins telle que portée dans les médias, dans les discours politiques, économiques (et parfois associatifs), et atterrissant dans de plus en plus de foyers. Cette transition serait trop molle, trop lente, trop individuelle, trop superficielle, trop inégalitaire, pas assez révolutionnaire.

De fait, cet essai philosophico-politique dénonce certains travers des discours et pratiques de « transition ». En réponse aux « ravages écologiques » – termes préférés à celui trop impersonnel d’effondrement –, les auteurs dénoncent la culpabilisation des consommateurs, tenus de moins consommer et de consommer plus écologique. Or le consommateur arrive souvent en bout de chaîne, lorsque tout a déjà été décidé pour lui. La surconsommation est avant tout un effet de la surproduction, qui elle-même est un effet de la compulsion de croissance inhérente au capitalisme. Désobéissance Ecolo Paris voit ainsi l’action écologique non pas comme une somme d’écogestes individuels – hélas jugés inutiles – mais (uniquement) comme une démarche collective et politique.

Dans le prolongement, l’ouvrage dénonce aussi le terme de « renoncement » – par exemple à l’avion ou à la viande – trop présent dans la morale écologique, « transformant chacun en un petit surveillant de sa consommation et de celle des autres », à renfort de calculateurs d’empreinte carbone. Cette stratégie du renoncement entraîne culpabilisation, compétition et exclusion, et « rend inconcevable toute révolte populaire contre les structures politiques et économiques ». « Il n’est pas tant question de se priver et de faire le deuil du confort moderne, que de changer de vie », sur un mode affirmatif et désirable.

Il remet aussi les sciences à leur juste place : elles nous permettent de comprendre le réel et non pas de l’organiser. Les auteurs ne veulent pas d’une écologie technoscientifique, comptable et gestionnaire, vue comme un enjeu statistique, et qui organiserait la société. Pour eux, l’écologie doit être politique et citoyenne. Ils proposent d’habiter le monde plutôt que d’essayer de le modéliser, et préfèrent une campagne riante à l’éco, safe & smart city. « Quoique disent les sciences sur les taux d’extinction d’espèces, (…) ce dont nous sommes prêts à prendre soin c’est de ce dont nous sommes proches. Non pas des chiffres abstraits mais de notre jardin potager, des friches urbaines que nous avons explorées (…) Il faut s’émouvoir pour se mouvoir ». Il ne faudra pas convaincre les animatrices nature et autres éducateurs à l’environnement, qui s’y consacrent depuis un demi-siècle.

Au fil des pages, on balaie enfin les grandes questions qui traversent actuellement le mouvement écologique : la nécessaire décolonisation de l’écologie, l’écoféminisme, les risques d’hygiénisme, d’écofascisme…

Face à ces dénonciations, quelles solutions ? Le collectif Désobéissance Ecolo Paris termine par des pistes de sortie (ou d’entrée), en direction de l’horizon. Des pistes inspirées des ZAD, construites à côté de l’Etat (autonomie politique), dans un rapport très opportuniste : on se met à côté des institutions et de la société telles qu’organisées actuellement, on aimerait presque qu’elles disparaissent, mais on bénéficie de leurs services. Transformer l’appareil productif pour le rendre compatible, sinon le démanteler. Et surtout : lutter. Pas un grand soir (quoique), mais des luttes réinventées, pragmatiques. Parfois très vagues, parfois très précises.

En résumé, l’idée serait de se rendre indépendant·e des infrastructures et de renforcer notre réseau d’interdépendance écologique. Faire nous-mêmes et nous relier. Un discours entendu aussi dans les rangs des nombreuses initiatives se revendiquant « de transition »…

Christophe Dubois

(1) Désobéissance Ecolo Paris, « Ecologie sans transition », Divergences, coll. Imaginaires Subversifs, 196 p., 2020.

A lire aussi : « Écologie sans transition, un livre qui prône la rupture écologique totale », critique publiée sur https://mrmondialisation.org/ecologie-sans-transition-un-livre-qui-prone-la-rupture-ecologique-totale/

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