J’ai vu le futur en face

27 septembre 2005

Mardi 7 juin. Papa Dubois installe sa petite famille devant le petit écran : « rassurez-vous, même si c’est pour le boulot, c’est pas le jardin extraordinaire, c’est Delarue, en prime time, y a même une fiction avant le débat ». Sur le plateau de « 2025, le futur en face », des experts : le cancérologue Dominique Belpomme ; Jean-Marc Jancovici, spécialiste du climat ; le président de WWF France, qui a collaboré à l’élaboration de l’émission et du film. Le présentateur-vedette annonce le programme : « revenons sur les prévisions et les mises en garde de 2005 et, voyons comment nous n’avons su ni prévenir ni éviter tous les drames quand il en était encore temps, avec l’exemple d’une famille française touchée par des maladies d’un nouveau type et des catastrophes climatiques en 2025.» Mise en garde, drame, maladie, catastrophe… « Ouh, là, il met le paquet le Jean-Luc ». « Chuut le film commence ».

L’histoire d’une équipe de télé qui part couvrir des inondations titanesques en Camargue, en 2025. Une heure à suivre les palpitantes aventures des victimes françaises du dérèglement climatique, des allergies purulentes, des moustiques paludiques… Je ne vous raconterai pas le détail, je me suis endormi après dix minutes, pour me réveiller à la fin, à la mort de la journaliste. C’est pas que c’était totalement mauvais, c’est que je suis allergique aux téléfilms français. À vrai dire, je pensais même, en mon for intérieur, « bon début, pour secouer les masses de téléspectateurs endormis, il faut ce genre d’électrochoc ».

Retour sur le plateau. « C’est un scénario moyen, rassure Delarue, la situation pourrait être plus critique ». Les spécialistes rappellent alors les urgences scientifiquement avérées. Un myopathe trop longtemps exposé à des produits dangereux et une jeune fille atteinte d’un cancer du rein à 12 ans exposent leur cas. 23h. Toujours pas une ébauche de solution pour les courageux qui sont restés devant leur écran. Déjà 13000 spectateurs inquiets ont appelé le standard de l’émission : « mon mari est mort, il jouait au golf, y a-t-il un lien ? » (sic).
Le dernier quart d’heure, montre en main, offre enfin les alternatives : éteignez la lumière, mangez bio, achetez un régulateur d’eau, prenez le train, votez intelligemment, buvez de l’eau minérale… Euh… Et Jean-Luc de nous rassurer : « La semaine prochaine, des enfants vous donneront leurs trucs, durant une minute, juste avant le JT ».

L’intention et l’audience (3,8 millions de téléspectateurs) étaient bonnes. Nous ne sortirons en effet de l’ornière que si les grands médias s’emparent systématiquement des enjeux environnementaux et humains, aux heures de grande écoute, en y investissant les moyens nécessaires pour atteindre le grand public. France 2 l’a fait. D’autres devraient suivre, et recommencer autant que nécessaire.
Mais la forme a failli. « Il fallait que le téléspectateur ait l’impression de regarder un magazine d’information, et non une fiction », déclarait le réalisateur du film, Christophe Janin. Pourquoi alors ne pas montrer des faits réels ? D’autant que le recadrage faisait défaut. D’où cette interrogation de Martin, 15 ans, durant l’émission : « le cheval dans le reportage est-il mort de sa maladie ? ». Ou cette impression qu’il faudrait exterminer le moindre moustique.

Deux heures passées à nous jeter des dysfonctionnements à la face, pour 15 minutes de solutions. N’en jetez plus, la coupe est pleine. Quel sera l’effet de cette émission ? Le réalisateur y répond, involontairement, sur le site de France 2 : « J’ai la sensation qu’il est presque déjà trop tard… Je ne suis pas le seul d’ailleurs à penser comme ça, cet avis, je le partage avec la plupart des comédiens ». On comprend mieux…

Christophe Dubois, Réseau IDée asbl

Le commentaires sont fermés.

J’ai vu le futur en face

27 septembre 2005

Mardi 7 juin. Papa Dubois installe sa petite famille devant le petit écran : « rassurez-vous, même si c’est pour le boulot, c’est pas le jardin extraordinaire, c’est Delarue, en prime time, y a même une fiction avant le débat ». Sur le plateau de « 2025, le futur en face », des experts : le cancérologue Dominique Belpomme ; Jean-Marc Jancovici, spécialiste du climat ; le président de WWF France, qui a collaboré à l’élaboration de l’émission et du film. Le présentateur-vedette annonce le programme : « revenons sur les prévisions et les mises en garde de 2005 et, voyons comment nous n’avons su ni prévenir ni éviter tous les drames quand il en était encore temps, avec l’exemple d’une famille française touchée par des maladies d’un nouveau type et des catastrophes climatiques en 2025.» Mise en garde, drame, maladie, catastrophe… « Ouh, là, il met le paquet le Jean-Luc ». « Chuut le film commence ».

L’histoire d’une équipe de télé qui part couvrir des inondations titanesques en Camargue, en 2025. Une heure à suivre les palpitantes aventures des victimes françaises du dérèglement climatique, des allergies purulentes, des moustiques paludiques… Je ne vous raconterai pas le détail, je me suis endormi après dix minutes, pour me réveiller à la fin, à la mort de la journaliste. C’est pas que c’était totalement mauvais, c’est que je suis allergique aux téléfilms français. À vrai dire, je pensais même, en mon for intérieur, « bon début, pour secouer les masses de téléspectateurs endormis, il faut ce genre d’électrochoc ».

Retour sur le plateau. « C’est un scénario moyen, rassure Delarue, la situation pourrait être plus critique ». Les spécialistes rappellent alors les urgences scientifiquement avérées. Un myopathe trop longtemps exposé à des produits dangereux et une jeune fille atteinte d’un cancer du rein à 12 ans exposent leur cas. 23h. Toujours pas une ébauche de solution pour les courageux qui sont restés devant leur écran. Déjà 13000 spectateurs inquiets ont appelé le standard de l’émission : « mon mari est mort, il jouait au golf, y a-t-il un lien ? » (sic).
Le dernier quart d’heure, montre en main, offre enfin les alternatives : éteignez la lumière, mangez bio, achetez un régulateur d’eau, prenez le train, votez intelligemment, buvez de l’eau minérale… Euh… Et Jean-Luc de nous rassurer : « La semaine prochaine, des enfants vous donneront leurs trucs, durant une minute, juste avant le JT ».

L’intention et l’audience (3,8 million de téléspectateurs) étaient bonnes. Nous ne sortirons en effet de l’ornière que si les grands médias s’emparent systématiquement des enjeux environnementaux et humains, aux heures de grande écoute, en y investissant les moyens nécessaires pour atteindre le grand public. France 2 l’a fait. D’autres devraient suivre, et recommencer autant que nécessaire.
Mais la forme a failli. « Il fallait que le téléspectateur ait l’impression de regarder un magazine d’information, et non une fiction », déclarait le réalisateur du film, Christophe Janin. Pourquoi alors ne pas montrer des faits réels ? D’autant que le recadrage faisait défaut. D’où cette interrogation de Martin, 15 ans, durant l’émission : « le cheval dans le reportage est-il mort de sa maladie ? ». Ou cette impression qu’il faudrait exterminer le moindre moustique.

Deux heures passées à nous jeter des dysfonctionnements à la face, pour 15 minutes de solutions. N’en jetez plus, la coupe est pleine. Quel sera l’effet de cette émission ? Le réalisateur y répond, involontairement, sur le site de France 2 : « J’ai la sensation qu’il est presque déjà trop tard… Je ne suis pas le seul d’ailleurs à penser comme ça, cet avis, je le partage avec la plupart des comédiens ». On comprend mieux…

Christophe Dubois, Réseau IDée asbl

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