« Les réalistes, c’est nous ! »Clés pour comprendreFocus

16 novembre 2009

escargotLe mouvement politique des Objecteurs de Croissance vient officiellement de voir le jour en Belgique. Bernard Legros, l’un de ses membres, revient sur le parcours du mouvement, ses réflexions, ses actions à venir… et fustige ceux qui accusent les objecteurs de croissance d’être des rêveurs.

Le mouvement politique des Objecteurs de Croissance vient d’être lancé. Quel est son parcours ?

Au départ il y a une initiative du Grappe, Groupe d’action pour une politique écologique, en 2006, qui désirait rassembler les associations ayant pour objectif commun de trouver des alternatives au système économique actuel. Donc, des associations qui se reconnaissaient dans une démarche d’écologie politique, et même d’objection de croissance. De ces 20 associations, des points communs ont été dégagés. La phase d’incubation avançant, on s’est retrouvé à une dizaine d’associations. Il y a eu des perspectives sans lendemain, puis l’idée est venue de fonder un mouvement politique d’objecteurs de croissance en Belgique. Nous avons décidé de commencer par une journée de réflexion et d’information sur ce qu’est la décroissance « soutenable » et l’objection de croissance. Cette journée s’est tenue le 21 février 2009, avec deux prestigieux conférenciers, Serge Latouche et Marie-Dominique Perrot, avec un panel d’associations liées à l’objection de croissance, et avec la présence d’intellectuels qui ont donné leur avis sur la décroissance (voir les actes de cette journée sur www.objecteursdecroissance.be).

Une journée qui a rencontré un vif succès… Comment expliquez-vous cet engouement ?

En effet, nous nous attendions à avoir 200 ou 300 personnes, nous en avons eu 800. Ca a été un succès inattendu. Ca s’explique peut-être parce que l’idée de la décroissance a fait son chemin dans les têtes, dans les consciences. Suffisamment de monde a entendu parler de décroissance pour se décider à venir à une séance d’information afin d’en savoir plus. Le fait, évidemment, qu’on ait eu un nom aussi connu que Serge Latouche, a également beaucoup joué. Nous avons été grisé par notre succès, nous n’en revenions pas !

Cette journée marquait le premier pas vers la création du mouvement politique…

L’un des objectifs de cette journée était de « prendre la température », de voir comment était perçue l’objection de croissance et quel est le public que ce courant rassemble. La journée a été un succès, et elle s’est donc clôturée par un appel à nous rejoindre pour fonder un mouvement politique nouveau basé sur l’objection de croissance. Parmi les 800 personnes qui étaient présentes à la journée, une bonne centaine étaient intéressées par l’idée. Nous avons fait une première plénière en mai, où nous avons commencé à mettre en place les étapes qui mènent à la fondation d’un mouvement. Pendant ce temps-là, il y a toujours un groupe de pilotage, appelé AdOC pour Association d’Objecteurs de Croissance, qui continue à fixer le cadre et la marche à suivre pour y aller par étapes. Nous avons rédigé un manifeste et les statuts du mouvement. Le 18 octobre a été lancé officiellement le mouvement politique des Objecteurs de Croissance.

Pourquoi un « mouvement politique » ?

Il n’a jamais été question de faire un parti politique et de foncer aux élections. Et en même temps, on voulait aussi éviter la dépolitisation, c’est-à-dire penser qu’on peut changer la société uniquement par l’activité associative ou par la transformation personnelle, via la simplicité volontaire. Nous ne pensons pas que ce soit suffisant. Il faut absolument une action politique et collective. C’est comme ça que nous avons lancé le mouvement. Il n’est pas totalement exclu que nous présentions une liste aux élections, ça doit se décider démocratiquement. Mais ça ne sera en aucun cas en tant que parti.

Qui constitue ce mouvement ?

Des citoyens issus de diverses associations. Il y a des militants anti-pub, des gens qui font partie de groupes d’achats solidaires, d’autres des Amis de la Terre, des enseignants, des gens qui pratiquent la simplicité volontaire mais qui ont envie d’aller vers une action collective… Actuellement un peu moins de 200 personnes sont devenues membres après avoir adhéré à la charte et aux statuts.

Ce mouvement, c’est surtout une manière pour des citoyens de se faire entendre?

Nous sommes un mouvement d’écologie politique, c’est-à-dire redonner du pouvoir aux citoyens, aux collectifs politiques de base, qui se réapproprient les conditions de production et de consommation. C’est un peu le pari de refaire de la politique autrement. Ce sont des nouvelles formes de collectifs politiques. Quel poids réel nous allons avoir sur la société, je n’en sais rien… Le plus important possible, j’espère. Pour cela, on espère que beaucoup de citoyens nous rejoignent. Nous devons être un mouvement fort et actif. Il faut qu’on déborde la politique traditionnelle sur ses pratiques. Il n’est, par exemple, pas question de côtoyer les multinationales. Nous voulons reprendre du pouvoir aux multinationales pour nous le redonner. Et tout ce capitalisme vert, cet écoblanchiment, c’est notre pire ennemi. Nous rejetons aussi la notion de développement durable, qui espère que les solutions techniciennes décidées par les experts et les politiciens professionnels seront suffisantes pour éviter les dangers qu’affronte la société actuellement : changements climatiques, pic pétrolier, biodiversité menacée… Le développement durable, c’est une manière de soi-disant protéger l’environnement en ne bouleversant surtout pas le mode de production capitaliste. Nous sommes persuadés que si nous allons vers où nous mène la société actuelle, c’est la catastrophe pour tout le monde, mais d’abord pour les pauvres. Ceux qui vont morfler en dernier lieu, ce sont les riches qui se mettront à l’abri jusqu’au dernier moment.

Concrètement, quelles actions allez-vous mener ?

Dans un premier temps, il s’agit de poursuivre les groupes de travail existants et d’en constituer de nouveaux, autour de la mobilité, de la santé, de la sécurité sociale, etc., pour montrer qu’on peut reprendre le pouvoir en tant que citoyens. Et écrire un programme politique en bonnes et dues formes, pour mettre sur papier notre vision de transition vers une société soutenable, établir nos priorités d’actions et nos moyens d’action. On y parlera sans doute des pensions, de l’enseignement, et des petites et moyennes entreprises, par exemple, entre autres choses. Pour l’instant, nous avons des pistes de réflexion. Nous savons ce dont nous ne voulons plus. Nous voyons bien ce que nous voudrions comme type de société. Mais alors la grande inconnue, c’est la transition entre cet ancien monde et ce nouveau monde. Comment opérer la transition avec des gens qui ne seront pas d’accord avec nous et qui ne se laisseront pas faire ? Je ne crois pas du tout à une transformation harmonieuse et consensuelle de la société. Il y aura des résistances. Ceux qui jouissent de privilèges économiques n’accepteront pas le paradigme de l’objection de croissance. Nous avons aussi l’intention de peser sur les partis traditionnels, puisque nous avons un nouveau paradigme qui est complètement différent du leur qui est la croissance. Tout le monde prie le Dieu Croissance, même Ecolo, peut-être avec un peu moins de ferveur que le MR, le PS ou le CDH. C’est un nouveau paradigme qui éclot et qui, souhaitons-le, va percoler toutes les couches de la société et tous les décideurs politiques. C’est un pari sur l’avenir. Est-ce qu’on va percoler cette idée là dans les partis traditionnels ou est-ce que les partis traditionnels vont se cabrer sur leur ancien paradigme et continuer à brûler des cierges à la croissance durant les décennies qui viennent, c’est difficile à dire. C’est une question de rapport de forces. Si nous créons un rapport de force politique et citoyen suffisamment important, les partis ne pourront plus nous ignorer.

Que répondez-vous à ceux qui accusent les tenants de la décroissance d’être sur leur nuage ?

Je leur renvoie exactement le même reproche en disant que ce sont eux qui sont sur leur nuage de croire qu’un système basé sur la croissance économique infinie est possible dans un monde aux ressources finies. Les réalistes, c’est nous ! Les irréalistes, les « durs rêveurs », ce sont les fanatiques de la croissance, qui pensent que ce n’est pas possible ni souhaitable de fonctionner dans un autre paradigme. Ce qui se passe actuellement dans l’histoire de l’humanité est une « première ». Il n’y a rien de plus faux que de prétendre que nous sommes pris dans un cycle historique classique, que l’humanité a déjà connu des crises et qu’elle s’en sortira. La crise économique, le choc démographique, l’épuisement des terres agricoles, le réchauffement climatique, la crise énergétique, etc., tout cela arrive en même temps et va converger vers le même point. Ca va être tout à fait inédit.

Propos recueillis par Céline Teret
Interview réalisée dans le cadre du dossier « Moins de biens, plus de liens », de Symbioses (n°84 – automne 2009), magazine d’éducation à l’environnement du Réseau IDée

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    Un commentaire sur “« Les réalistes, c’est nous ! »”

    1. Jorge Rozada dit :

      Comprenons bien qu’une croissance infinie dans un monde fini (notre petite planète) est impossible.
      Il est vraiment urgent d’agir.
      Je vous conseille aussi la lecture du livre: « L’enseignement face à l’urgence écologique » par Jean-Noël Delplanque et Bernard Legros aux édition aden.