Gaz et pétrole de schiste : une bulle de tropClés pour comprendre

31 mai 2013
Vous ne le savez peut-être pas encore, mais aux Etats-Unis l’âge d’or du gaz et du pétrole de schiste touche à sa fin. A peine commencé, il s’arrête déjà. Décryptage d’une bulle.

Le récent rapport de l’AIE (Agence internationale de l’énergie) publié le 12 novembre 2012 a fait grand bruit dans les médias. A l’unisson, tous les éditorialistes ont vanté les mérites de ce nouvel Eldorado et de l’indépendance énergétique des Etats-Unis. Un message plein d’enthousiasme, mais sans aucun fondement.
Il faut d’abord distinguer le gaz (shale gas) du pétrole de schiste (shale oil ou tight oil). Le gaz, s’il est la matière première de beaucoup d’industries, ne remplacera jamais le pétrole. Or, le pétrole de schiste, dont le déclin s’amorcerait très prochainement, ne donnerait à son pic de production qu’1,5 million de barils par jour (soit 3,5 % de ce qu’il faudrait trouver d’ici 10 ans pour maintenir le niveau de production mondial actuel) (1). Une broutille.
L’industrie pétrolière s’est lancée à l’assaut des gaz et pétrole de schiste sur la base de rapports d’experts largement surévalués. En réalité, le terrain déçoit. Les estimations de réserves sont revues à la baisse (on parle de la moitié). Au Texas, la durée de vie moyenne d’un puits serait de 12 ans et non de 50 ans…
Par ailleurs, le taux de déclin de chaque puits étant extrêmement élevé (la production diminue généralement de 70 % à 80 % la première année), il faut donc forer de 10 à 100 fois plus de puits que pour le pétrole conventionnel, dans des régions qui satureront bientôt (voir image), et il faut le faire à un rythme de plus en plus élevé, car les meilleurs emplacements ont été forés en premier (2). L’investissement doit donc être exponentiel. Mais alors que les majors comptaient sur une augmentation des prix du gaz pour maintenir ce niveau d’investissement, c’est l’inverse qui se produit. La chute des prix du gaz oblige les compagnies à modérer leurs ardeurs, ce qui risque de faire chuter rapidement la production.

Extraire, ça coûte cher…

Cher en eau d’abord. Dans la région d’Eagle Ford aux Etats-Unis, l’exploitation demande plus de 22 000 m3 pour chaque fracturation. En période de forte sécheresse, les compagnies doivent aller chercher l’eau par camion à plus de 50 km (sachant qu’un camion transporte environ 20 m3) et entrent en concurrence directe avec les besoins agricoles (3). Cher en sables aussi, qui font office d’« agents de soutènement » pour remplir les fractures de la roche. Aux Etats-Unis, près de 100 carrières ont dû être ouvertes en deux ans. Les camions abîment les routes, augmentent le nombre d’accidents et polluent.
Enfin, produire de l’énergie coûte de l’énergie. On appelle cela le « taux de retour énergétique ». Il y a 100 ans, il fallait un baril de pétrole brut pour extraire 100 barils. Mais au début on a extrait le pétrole le plus accessible. C’est ainsi qu’en 1990, un baril permettait d’extraire 35 barils, et en 2007 seulement 12 barils (4). Il faut aller chercher le pétrole plus loin et plus profondément. Lorsqu’on dépense plus d’énergie que ce que l’on en retire, cela ne sert plus à rien de creuser. Or, le gaz de schiste a un taux de retour énergétique de l’ordre de 3 à 5. Si on inclut le coût énergétique de la dépollution des sites, de l’eau et de l’air, le taux serait proche de, voire inférieur à 1. Autrement dit, l’extraction du gaz de schiste, tout comme certains agrocarburants, coûte de l’énergie au lieu d’en produire !

… et ça pollue

Une incroyable enquête du New York Times (5) révèle une longue liste d’additifs chimiques toxiques contenus dans les eaux de rejets et qui sont tenus secrets par les compagnies pétrolières (elles en ont le droit aux Etats-Unis), ainsi que la présence de taux de radioactivité pouvant être mille fois supérieurs aux niveaux autorisés. Les effets se font déjà sentir sur la santé des populations : asthme, étourdissements, maux de tête, diarrhées aiguës, etc. A cela s’ajoute un risque réel de séismes et un rejet important de méthane, un gaz dont l’impact sur l’effet de serre est 25 fois plus fort que le CO2. En ajoutant l’empreinte des milliers d’usines et le trafic de camions nécessaire à l’extraction, le cycle entier de production s’avère bien plus néfaste que l’utilisation de charbon. Comme le résume John H. Quigley, ancien secrétaire du Département de conservation des ressources naturelles de Pennsylvanie, « nous sommes en train de brûler les meubles pour chauffer la maison ».

Après la bulle

En Belgique, selon De Morgen, la compagnie Shell s’intéresserait à la région de Liège et à la Campine. On avance bien entendu l’argument de l’emploi pour justifier les prospections. Il faudrait, paraît-il, rester dans la course aux énergies. Mais à ce jeu, il est probable que le perdant soit le premier arrivé. Aux Etats-Unis, lorsque la bulle éclatera et que la production chutera, les prix s’envoleront, étouffant immédiatement tous ceux qui ont de nouveau investi dans les installations gazières. La situation sera d’autant plus dramatique qu’on aura détruit les capacités de régénération naturelle de territoires entiers.
Derrière l’écran de fumée des gaz de schiste, le dernier rapport de l’AIE confirme non seulement que le pic de pétrole conventionnel a eu lieu en 2006-2007, mais aussi le récent déclin de la production de brut des grands pays producteurs : Norvège, Mexique, Chine, Grande-Bretagne, Iran, Venezuela, Nigeria, Angola, Lybie, Algérie, Equateur (6). Or, le brut représente toujours l’essentiel de notre consommation. L’ère du déclin énergétique a donc bel et bien commencé. L’histoire des gaz de schiste a simplement montré que l’idée de croissance était encore fortement implantée dans l’imaginaire de certains, et que cette idée devient dangereuse.

Pablo Servigne
Article publié dans Imagine demain le monde (n°96, mars-avril 2013)

Image : Région de Bakken, dans le Dakota du Nord (Etats-Unis), où se trouve l’une des plus grandes réserves de pétrole de schiste. En rouge, les puits en fonctionnement, en noir les puits très productifs.

(1) Blog de Matthieu Auzanneau (petrole.blog.lemonde.fr). Article du 13 novembre 2012
(2) Blog de Benoît Thévard (www.avenir-sans-petrole.org). Article du 12 février 2013.
(3) Blog de Benoît Thévard (www.avenir-sans-petrole.org). Article du 28 juillet 2012.
(4) Richard Heinberg (2009) Searching for a Miracle : “Net Energy” Limits & the Fate of Industrial Society. Post Carbon Institute & International Forum on Globalization.
(5) www.nytimes.com/2011/02/27/us/27gas.html
(6) Blog de Matthieu Auzanneau (petrole.blog.lemonde.fr). Article du 21 novembre 2012.

2 commentaires sur “Gaz et pétrole de schiste : une bulle de trop”

  1. Maxime Calay dit :

    … voila des informations qu’il serait bon de transmettre au premier ministre, pour qui les gaz de schistes semblent prometteurs, voire nécessaires pour la relance de l’économie !!!

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