Changement de société ou changements climatiques ?Clés pour comprendre

15 octobre 2008

changementsclimatiquesFace à l’urgence climatique, une « révolution » s’impose. L’enjeu est global. Le passage à l’acte devra être collectif, émanant des gouvernements, des entreprises, des citoyens… Tour d’horizon avec le climatologue Jean-Pascal van Ypersele et l’explorateur polaire Alain Hubert.

Ici ou ailleurs, il ne se passe pas un jour sans que les emballements du climat ne s’immiscent au cœur d’une conversation, d’un débat politique, ou à la une des médias. Alors qu’il y a une décennie d’ici, les changements climatiques n’échauffaient que les cercles fermés de la communauté scientifique et des organisations environnementales, ils sont désormais considérés à l’unanimité comme l’un des enjeux majeurs de ce siècle.

« Il est trop tard pour éviter les impacts qui sont déjà là. Il est trop tard pour éviter certains problèmes encore à venir dus à l’inertie du système. Mais il n’est pas du tout trop tard pour éviter les pires impacts à venir. On n’a pas encore bien réalisé l’ampleur des bouleversements auxquels nous risquons d’être soumis si on ne change pas radicalement notre manière de faire. Nous avons toutes les cartes en main. »
Jean-Pascal van Ypersele : Docteur en physique, professeur à l’Institut d’astronomie et de géophysique de l’UCL, il est également membre du bureau du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC).

Les rapports du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), très certainement, ainsi que le documentaire mettant en scène Al Gore, ont contribué à la prise de conscience collective. Ce regain d’intérêt s’explique aussi et surtout par les effets de plus en plus palpables des changements climatiques. « Le grand public et les décideurs perçoivent que les changements climatiques sont là et ne sont pas seulement des courbes dans des graphiques scientifiques cachés dans des rapports, fait remarquer Jean-Pascal van Ypersele, climatologue à l’UCL et membre du bureau du GIEC. Tout le monde a vu en Europe ce que représentait la canicule de l’été 2003 ou les inondations à répétition. Aux Etats-Unis, il y a eu le choc de l’ouragan Katrina. »

« Notre génération, nos politiques, nos responsables de l’industrie doivent prendre leurs responsabilités. Si on n’est pas capables aujourd’hui de mettre en route la machine énergétique (production, diversification, efficacité), c’est foutu pour nos petits-enfants. C’est la débandade économique à l’échelle des 50 ans. C’est ça la réalité. »
Alain Hubert : Ingénieur civil, entrepreneur, explorateur polaire et co-fondateur de l’International Polar Foundation, il a initié la construction de la nouvelle station scientifique polaire belge « Princess Elisabeth ».

Le réchauffement climatique menace la planète entière et ses habitants. Il interagit étroitement avec d’autres problèmes environnementaux et sociaux, à l’échelle globale. Parmi la liste morose des effets annoncés, la fonte des glaces, l’augmentation du niveau des mers, l’intensification des inondations, sécheresses, ouragans, ainsi que la diminution de la biodiversité, la baisse de la productivité agricole, la progression de maladies graves comme le paludisme… Des effets dévastateurs qui touchent déjà les populations les plus démunies, pour ensuite s’étendre à l’ensemble de la planète. Selon Alain Hubert, explorateur et co-fondateur de l’International Polar Foundation, « ce problème climatique est le plus grand problème jamais posé à l’humanité. Quand les conséquences commenceront à s’intensifier, personne ne pourra y échapper. »

Défis sous-estimés

La course contre la montre a commencé. Le thermomètre mondial affiche déjà une augmentation de 0,7°C depuis le début du 20e siècle et tend à s’emballer pour les décennies à venir. Pour limiter les dégâts, le monde va impérativement devoir diminuer au moins de moitié d’ici 2050 ses émissions de gaz à effet de serre (GES) causées par l’activité humaine et responsables du réchauffement climatique. Principaux cracheurs de CO2, (le GES le plus commun, dégagé essentiellement par l’utilisation des combustibles fossiles – pétrole, gaz, charbon – et par la fabrication du ciment), les pays industrialisés ont les plus gros efforts à fournir. Ils l’ont timidement compris depuis peu en tentant d’accoucher d’engagements, tel que le Protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2005. Son objectif : 5% de réduction globale des émissions de GES d’ici 2012, par rapport aux émissions de 1990. Le défi est désormais de voir largement au-delà de 2012 et d’engager l’ensemble des pays industrialisés (les Etats-Unis n’ont pas ratifié le Protocole), ce que les dirigeants tardent à mettre en œuvre.

En matière d’intentions à plus long terme, les pays de l’Union européenne se placent en tête de peloton puisqu’ils se sont fixés l’objectif de 20% à 30% de diminution des émissions de CO2 d’ici 2020 et même jusqu’à 60 à 80% à l’horizon 2050. Or, si on veut ne pas dépasser à long terme une gamme de température qui va de 2 à 2,4°C, ce qui aura déjà des impacts énormes pour les écosystèmes, le GIEC annonce que les pays industrialisés doivent atteindre une réduction de l’ordre de 80 à 95% ! Face à ces chiffres, l’engagement belge au Protocole de Kyoto visant à réduire ses émissions de CO2 de 7,5% d’ici 2012 paraît dérisoirement insuffisant. Un rapport du Bureau fédéral du Plan annonçait d’ailleurs en 2007 que si les politiques et tendances actuelles devaient se maintenir, les émissions belges de CO2 atteindront le triste record de 32% d’augmentation d’ici 2030.

Volonté politique

Il y a urgence et le monde, surtout au Nord, va devoir cravacher. Le coût de cette mobilisation ? Selon le GIEC, une réduction de 50 à 85% des émissions de CO2 est réalisable à un coût de 0,12% du taux de croissance mondiale du PIB par an. « Un chiffre totalement négligeable, souligne Jean-Pascal van Ypersele, d’autant plus qu’il ne tient pas compte du gain obtenu en termes d’impacts évités. »

Afin de prévenir les coûts énergétiques et environnementaux et, du même coup, redorer leur image, certaines entreprises commencent à passer à l’action en prenant le pli de réduire leurs émissions de CO2. Et comme l’annonce le GIEC, le recours aux technologies (énergies solaire et éolienne, stockage de CO2, etc.) est de rigueur dans la lutte contre les changements climatiques. Mais pas seulement. « Une véritable révolution énergétique est nécessaire, poursuit le climatologue. On ne résoudra pas le problème en serrant quelques vis, en gagnant quelques pourcents d’efficacité par-ci ou par-là ou en installant quelques éoliennes. Il faut revoir structurellement la manière de faire et d’organiser la société, l’économie et l’ensemble de notre développement. Ce qui manque, c’est une réelle volonté politique. »

Alain Hubert aspire lui aussi à la révolution : « La stabilité demain sera dans le changement radical. On manque d’hommes politiques, européens comme belges, capables de poser une vision à long terme. Ils ont d’énormes difficultés à lever la tête du guidon et à comprendre que c’est dans cette volonté de changement et de réduction drastique des émissions causées par l’homme que se trouve le seul moteur économique de développement de nos sociétés occidentales, désormais confrontées à une mondialisation accrue. »

Place du citoyen

Revoir en profondeur notre modèle de société passe aussi, et ça va se soi, par la participation du citoyen. Sur le terrain démocratique des élections et au travers de ses choix de consommation, de son mode vie. Comme le souligne Jean-Pascal van Ypersele, « si les politiques sentent qu’il y a une demande sociétale pour fournir un cadre dans lequel des changements ambitieux peuvent se faire, des mesures seront prises. »

Pour contribuer à la lutte contre les changements climatiques, le citoyen est souvent sollicité à faire des « petits gestes ». Essentiels mais insuffisants. Ces gestes individuels et ponctuels doivent s’accompagner d’actions collectives et de changements de comportements plus profonds. Il est impératif, chez nous, de consommer moins et mieux. Et c’est précisément là que se situe le rôle crucial des acteurs de l’éducation.

Céline Teret
Article publié dans Symbioses (dossier « Changements climatiques : spectateurs ou acteurs ? » – n°79), le magazine d’Education relative à l’Environnement du Réseau IDée

Photo: René Robert/IPF

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