Energie : pour ou contre les permis de polluerClés pour comprendre

14 février 2000

Possibilité de réduire les émissions de CO2 au moindre coût pour les uns, marchandisation dangereuse de l’air universel pour les autres. Les «permis d’émission» font débat. Tour d’horizon des arguments.

« Permis de polluer » ? « Mais je suis contre bien sûr!» répond-on, indigné. Comme s’il était question de donner à quiconque l’autorisation de polluer l’air collectif. Et pourtant, comme le souligne très justement le député européen Alain Lipietz, « ce « droit » existe déjà. Certes il est interdit de polluer les rivières de cyanure, les mers de mazout. Mais, vivre, c’est respirer, se laver, cuire, circuler et bien d’autres choses encore ; et c’est à chaque fois, « polluer » un peu plus, rejeter du CO2, bref produire du gaz à effet de serre. Le règne de la marchandise existe déjà, et c’est en les produisant, en les consommant qu’on pollue le plus. Mais parce que l’air est un bien collectif, il est d’une importance vitale de fixer des limites à sa dégradation. Ce qui est choquant, ce n’est pas le droit de polluer, c’est celui de polluer sans limites et gratuitement.

Le principe

Le principe des permis d’émission – le terme original issu du protocole de Kyoto – est justement fondé sur cet objectif de diminution de la pollution : alors que le protocole fixe des limites à nos émissions de gaz à effets de serre (les participants se sont entendus pour réduire, d’ici 2008-2012, les émissions de six gaz à effet de serre d’en moyenne 5,2 % par rapport aux niveaux de 1990), le mécanisme des
« permis d’émission négociables » doit permettre que cela se fasse au moindre coût. C’est ce que l’on appelle un « mécanisme de flexibilité ». L’idée est simple : on détermine la quantité de CO2 que l’on pourrait émettre sans influencer le climat, et on la répartit entre les gens, en l’occurrence entre 39 pays. On leur donne alors des « permis d’émission ». Ces permis sont négociables. Si, par exemple, un pays a très facile pour atteindre son objectif de réduction d’émissions, il revend alors les permis qu’il a en trop. Dans le sens contraire, celui qui aurait du mal à atteindre son objectif de réduction pourra acheter ces permis mis en vente.

Pour le moment, au niveau Européen, seuls les Etats pourront participer à ce « marché » d’échange à partir de 2005. Mais bien entendu ce ne sont pas les pays en tant que tels qui polluent, mais bien les entités privées qu’il abrite, entreprises et particuliers . Le mécanisme prévoit donc que chaque Etat constitue un relevé, annuel et vérifié par des experts, des émissions des entreprises. Entre 4.000 et 5.000 entreprises des secteurs de la métallurgie, de la production d’énergie, de la chimie et de la papeterie sont concernées. A terme, les quantités de gaz à effet de serre pourraient être échangées à l’intérieur du pays ou entre sociétés de différents Etats de l’Union afin de permettre aux industriels de respecter leurs objectifs. Tout cela est encore en cours de négociation. Les modalités sont loin d’être définies. Rendez-vous le 9 décembre 2002 au Conseil européen de l’environnement pour une discussion intensive…

Les « pour »

Dans les arguments pesant en faveur du principe d’échange de permis d’émissions, la réduction des coûts vient en tête de liste. « Mettre en place un système de permis ne signifie pas que l’effort collectif de réduction est limité mais cela offre un simple moyen, utile, de lisser les disparités », nous dit l’auteur Jean-Marc Jancovici. En d’autres termes, l’important est que l’on réduise globalement les émissions de CO2 (la question climatique se posant à l’échelle de la planète), à partir de ce moment, si le fait de le faire à Outsiplou plutôt que chez soi peut coûter moins cher, tant mieux.
Deusio, les promoteurs des mécanismes flexibles soulignent que le caractère motivant du marché permettra d’atteindre plus rapidement les objectifs visés.
Tersio, le système peut s’avérer rentable pour les acteurs aux objectifs de réduction faciles, comme la Russie, ce qui les encourage à participer au protocole de Kyoto et donc à le rendre plus universel.

Les « contre »

Pour Valery Paternotte de Greenpeace, ce n’est pas le principe des « permis d’émissions » en tant que tel qui pose problème, mais bien la répartition de ces permis. « Ceux qui n’émettent presque rien ne recevront presque pas de permis, et ceux qui émettent beaucoup en recevront beaucoup. Les rapports de forces politico-économiques ont tranché ». C’est en effet le modus operandi le moins favorables aux pays les moins pollueurs, donc généralement les moins industrialisés, donc souvent les moins riches.

Par ailleurs, le prix des permis n’étant pas fixé, une sorte de « bourse aux émissions » va se développer, avec des permis qui vont s’échanger comme des actions, des valeurs qui vont évoluer en fonction de l’offre et de la demande, avec des tarifs préférentiels pour les grands acquéreurs (tant pis pour les petits)… Une capitalisation de la pollution. Une accentuation de la dualisation déjà écrasante entre les petits et les grands pays/entreprises.
Ce problème s’illustre bien par le cas de la Russie, qui a reçu beaucoup plus de permis que nécessaire. Les Russes n’auront aucun mal à accomplir la tâche qui leur a été assignée (stabilisation des émissions entre 1990 et 2010), puisque leur économie s’est effondrée en 1990. Ils pourront ainsi vendre leurs réductions supplémentaires sans devoir fournir le moindre effort. Et l’acquéreur préfera pour sa part acheter le permis sans réaliser chez lui la réduction escomptée, tant pis pour la santé et l’environnement de ses concitoyens. Cette dérive pose d’autant plus question lorsque l’on sait que le secteur énergétique russe est gangréné par la mafia. Bref, comme le souligne Inter-Environnement-Wallonie, seul le climat n’y aura rien gagné.

Les entreprises

Du côté des entreprises et grands consommateurs industriels d’énergie belges, représentées notamment par la Febeliec, les appréhensions sont différentes. On craint plutôt ques les échanges soient limités à un système européen fermé. « Nous pensons qu’il y aura une pénurie de droits d’émissions sur le marché européen », dit Roger Aertsens, « et que ces droits rares seront vendus très chers. Mais si le système est ouvert, on pourra acheter des droits d’émissions à la Russie, à l’Ukraine, qui très probablement seront vendeurs à des prix moins élevés que les entreprises en Europe ». Pour lui, le problème est que le surcoût engendré par l’achat de permis ou par l’investissement nécessaire à la réduction d’émissions ne sera pas supporté par certains concurrents, par exemple américains. « Notre point de vue est que si on ne permet pas aux industries chimiques belges de se développer, d’autres vont le faire ailleurs et avec la même quantité d’émissions de CO2 ou même plus. Donc il n’y aura rien de gagné pour l’effet de serre. Par contre on aura perdu un certain nombre d’emplois en Belgique. »

Bref chacun a ses soucis, ses exigences, ses contraintes. Chez nous, ce sera à l’Europe de trancher, de préférence avant 2005. Une tâche titanesque. Rien de comparable malgré tout aux négociations de Johannesburg, où là tous les continents étaient représentés et tous les problèmes – de la santé à la biodiversité – mis en débat. Côté belge, on est encore plus loin dans l’incertitude. Le gouvernement fédéral n’est toujours pas parvenu à répartir l’effort de réduction entre les Régions, notre petit et bien compliqué pays étant le seul à avoir régionalisé la politique environnementale. On ne sait toujours pas si l’on va tenir compte de l’évolution historique de chacun ou de la situation acuelle stricto sensu. Et pendant ce temps, aucune mesure ou politique ne peut être mise en place…

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