80 % de gaz à effet de serre en moins en 2050: comment payer ça?Focus

23 décembre 2013

voitures et éoliennes

A chaque sommet mondial sur le climat, comme celui de Varsovie fin 2013 (1), les pays s’engagent un peu. Ainsi, en 2011, l’Europe a déclaré que pour 2050 elle allait réduire ses gaz à effet de serre de 80 à 95 % par rapport à 1990. La Belgique suit depuis 2013 le même objectif et le conseil fédéral du développement durable (CFDD) a établi différents scénarios (2). Mais comment financer cela ? On parle d’au moins 4 à 10 milliards d’euros par an. Jusque 2050.

A terme, selon les pistes du CFDD et de Climact (voir ci-contre), si on s’en tient à une réduction de 80 % des gaz à effet de serre, les investissements nécessaires iraient de 4 à 10 milliards d’euros par an (en moyenne) jusqu’à 2050. Ils seraient, nous dit-on, totalement ou en partie récupérés à la fin au vu des économies d’énergie réalisées, de 2 à 9 milliards selon les scénarios. Ces chiffres sont déterminés « à la grosse louche », car comment prévoir les coûts de l’énergie, ou des matériaux, d’ici 20 ou 30 ans ? « Il faut investir aujourd’hui pour récupérer demain, explique Pascal Vermeulen, de Climact. Aller vers une société bas carbone ne coûte pas autre chose que notre mode de vie actuel. »

Votre scénario de réduction des gaz à effet de serre
Vous connaissez les ingrédients pour réduire les gaz à effet de serre et ainsi limiter le réchauffement climatique. Il s’agit d’utiliser plus les transports en commun, d’utiliser moins ou pas la voiture, les camions, les avions, d’isoler son logement, de le chauffer en utilisant des énergies renouvelables, de consommer moins.
Quel dosage de ces ingrédients, pour quelle(s) recette(s) ? En Belgique, le CFDD a mis en ligne un outil permettant de jouer avec ces ingrédients afin d’élaborer son propre «schéma bas carbone» et même de le partager. On peut même comparer les initiatives belges avec celles d’autres pays. Et de constater par exemple que l’Allemagne continue avec ses objectifs de 80 % d’énergie renouvelable en 2050 (35 % d’ici 2020) même en ayant fermé 7 centrales nucléaires après Fukushima (9 en plus d’ici 2022).
Une bonne manière pour que le citoyen, les entreprises, les communes s’approprient les leviers d’une transition devenue cruciale.
Votre scénario bas carbone pour 2050 sur www.climat.be/2050.
Aussi sur www.wbc2050.be pour la Wallonie.

O.K. ! Mais comment payer ces milliards à débourser… maintenant ?

Des pistes existent, mais il faudra un sursaut de volonté. On parle d’investissements de fonds de pension, de partenariats entre le secteur public et le privé, de mécanismes de compensations pour les entrepreneurs qui se paient avec les économies d’énergie réalisées (ce qu’on appelle le « tiers investisseur »), de création d’un fonds climat dans lequel le citoyen pourrait investir, de fonds régionaux, de fonds locaux.

« On est déjà en retard! »

« Idéalement il faudrait avoir défini un cadre pour début 2015 pour la mise en œuvre, estime Vincent van Steenberghe, du Service public fédéral Environnement. Et cela à quatre, le fédéral avec les trois Régions. »

« Nous sommes au début des études sur le sujet, explique Kris Bachus, chercheur à la KUL. La solution sera une combinaison de plusieurs pistes, au niveau européen, fédéral, régional. Les villes et les provinces sont aussi en train de réfléchir. Dans tous les scénarios, les banques joueront un rôle important. Il ne faudra pas, je crois, inventer de nouveaux instruments mais réorienter ceux qui existent. Avant tout, il doit y avoir un lien entre le développement durable et le monde financier. Mais il ne faudra pas attendre des années pour agir. Plus on tarde, plus il faudra investir. On est déjà en retard ! »

« Pour le défi de la réduction des gaz à effet de serre, le secteur bancaire n’est pas, à ma connaissance, impliqué financièrement à long terme », explique Rodolphe de Pierpont, porte-parole de Febelfin (Fédération belge du secteur financier). Mais d’une manière générale, nos institutions sont engagées depuis un petit temps dans les investissements socialement responsables et durables. Le gouvernement prépare par ailleurs un cadre légal pour le prêt citoyen thématique, qui sera lancé en 2014. »

Un prêt citoyen

Ce prêt citoyen prendra la forme d’un compte à terme ou de bons de caisse, sur minimum 5 ans ; le précompte mobilier sera ramené de 25 à 15 %. Les fonds levés doivent être investis dans l’année à des projets durables et à finalité sociale. L’intention est de mobiliser l’épargne des Belges. On s’en doute, cela ne sera pas suffisant.

Les acteurs du monde économique que nous avons interrogés parlent aussi du cadre légal général, des règles dans laquelle la transition pourrait s’exercer.

« C’est au niveau européen qu’il faut notamment agir, dit Olivier van der Maren, de la FEB. L’Europe a loupé l’occasion avec les énergies renouvelables en laissant chaque pays, chaque région, subsidier comme il le veut. C’est la même chose avec la production d’énergie elle-même, il n’y a pas de cadre et c’est la compétition entre les pays européens. Vous savez, nos industriels, pour créer une centrale au gaz, regardent d’abord les conditions, très concurrentielles, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Grande-Bretagne. A cause de ces conditions, il y avait le risque que nos centrales ferment les unes après les autres. Alors, en Belgique, on a introduit le mécanisme de capacité : on ne rémunère plus la production mais la capacité de produire. »

Dans ce système, le citoyen va payer pour le fait que la centrale soit là, pour compenser par exemple l’éolien ou le photovoltaïque quand il n’y a pas ou peu de production.

Autre réalité, celle, par exemple, de l’industrie chimique en Belgique, grande consommatrice d’énergie. « Pour le financement d’une société bas carbone, nous, nous ne savons pas répondre, explique Patrick Degand, conseiller énergie et climat chez Essenscia (800 entreprises en Belgique). Ce n’est pas notre métier. Tout ce que je sais, c’est que nous avons besoin d’énergie. Donnez-moi de l’énergie sans CO2 et je vous donnerai tous les produits chimiques que vous voulez ! Les énergies renouvelables pourraient être une solution, mais pour nous ce n’est pas pour le moment économiquement viable. La seule issue réaliste est d’investir plus en recherche et développement dans ce genre de techniques afin de les rendre économiquement rentables. »

Avec le tiers investisseur
« Les diminutions d’émissions de CO2 pourrait être financée en grande partie par le système du tiers investisseur », explique Michaël Cotton, de l’asbl Objectif 2050, qui donne notamment des formations sur les énergies renouvelables. Rappelons le principe : ceux qui ont de l’argent le prêtent à ceux qui en ont besoin pour rénover/isoler leur logement ou leur entreprise ; les prêteurs se paient avec les économies d’énergie réalisées.
Les autres pistes de Michaël Cotton ? Du plus lointain au plus proche, ce pourrait être de rendre la la fiscalité plus verte et juste , à un niveau européen. Au niveau communal, 9 communes sur 10 ne maîtrisent pas leur consommation. La seule visite d’un expert en performance énergétique permet de faire des économies jusqu’à parfois 30 %. Au niveau individuel, enfin, n’attendons pas que le politique prenne les décisions, les gens peuvent se prendre en main, à l’échelle de leur rue, de leur quartier, de leur ville. « A Bruxelles, explique Michaël Cotton, les GAC (groupes d’achats communs) fonctionnent tellement bien qu’il n’y a plus assez de maraîchers locaux pour les fournir. »

Les prix du CO2 sont trop bas

Les politiques européennes, fédérales et régionales sont bien sûr indispensables pour passer à la vitesse supérieure. L’objectif européen pour le sommet du climat à Paris en 2015 est d’accélérer les ambitions et les pourcentages. Et de revoir des mécanismes, comme celui par exemple du rachat des quotas de CO2. Ainsi, actuellement, si l’usine dépasse un certain seuil, elle paie à la tonne de CO2. Aujourd’hui les prix ont dégringolé (3 à 4 euros la tonne), ce qui n’encourage pas les entreprises à réduire les émissions, même si, il faut le reconnaître, c’est l’industrie qui a le plus réduit ses émissions grâce à ce que l’on appelle les accords de branche (4).

Chez nous

Au niveau régional, en Wallonie par exemple, le soutien pour et vers la transition est aussi présent. L’écopack (prêt à 0 %) permet ainsi d’isoler et d’améliorer les performances énergétiques de son habitation (5). Mesures de soutien également pour les entreprises, les écoles, les communes au travers de différents programmes de soutien (réductions, subsides) (6).

« En termes d’économies d’énergie et d’efficacité d’énergétique, le retour sur investissement est très court, explique Dominique Perrin, au cabinet du ministre de l’Environnement en Wallonie, Philippe Henry. Parfois moins d’un an ! Même chose en terme de santé publique, de qualité de l’air surtout ! »

Par ailleurs, beaucoup l’ignorent, un fonds spécifique est financé par une quote-part prélevée sur votre facture d’énergie ; ce fonds travaille avec des entités locales comme les CPAS, qui accompagnent les candidats rénovateurs/isolateurs peu ou pas fortunés. Pour l’instant, des prêts de 10.000 euros maximum sont octroyés. Ça marche! En général, les fonds octroyés annuellement aux entités locales sont épuisés après six mois.

Le conseil fédéral du développement durable a résumé toutes ces initiatives en Belgique et en Europe en faveur du climat (2). Dans ce « mapping », on verra notamment que la Suède et le Danemark sont beaucoup plus avancés dans la lutte contre le réchauffement climatique, en investissant massivement dans les énergies renouvelables. Pendant ce temps, chez nous, on se dispute encore sur les plans d’implantation des éoliennes…

Marc Litt

(1) Le Sommet de Varsovie fin 2013, où 195 pays ont pris part, comme celui de Lima en 2014, est un prélude au Sommet de Paris en 2015, où des engagements pour l’après 2020 devront être pris. En Pologne, l’accord sur le climat a été faible par rapport aux ambitions européennes : le texte de compromis adopté stipule notamment que les Etats doivent commencer à préparer des « contributions » pour 2015 sur ce qu’ils entendent faire pour lutter contre le changement climatique. Voir sur le site d’Inter-Environnement Wallonie.

(2) Différents scénarios à tester pour réduire les gaz à effet de serre sur www.climat.be/2050. Pour les initiatives en cours ou à venir, cliquez sur « mapping ».

Voir aussi le site du conseil fédéral du développement durable.

(3) Réduction de 20 % des gaz à effet de serre par rapport à 1990, création de 20 % d’énergie renouvelable, amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique, pour 2020, ou l’objectif 20-20-20

(4) Les accords de branche : les entreprises réduisent volontairement leurs émissions et bénéficient ainsi de facilités.

(5) L’écopack : l’emprunt wallon à 0 % pour améliorer les performances énergétiques de son habitation.

(6) Les aides wallonnes et les Les aides à Bruxelles.

En savoir plus:

« Financer la transition énergétique: taxe carbone, Livret Vert, Banque publique », quelques-unes des pistes de Inter-Environnement Wallonie à lire aussi sur www.mondequibouge.be.

Un rapport de la Banque mondiale d’octobre 2013, qui examine les manières par lesquelles des pays du Sud pourraient attirer plus de fonds privés.

L’avis du CFDD contenant des propositions pour le financement de la lutte contre le changement climatique.

Le groupe d’experts intergouvernemental (GIEC) confirme sans équivoque le réchauffement global et la responsabilité des activités humaines.

« Réchauffement climatique: remettons les pendules à l’heure »: une conférence de Jean-Pascal Van Ypersele, vice-président du GIEC et professeur à l’UCL, filmée le 25 avril 2013.

90 sociétés responsables des 2/3 des gaz à effet de serre: une étude publiée dans la revue scientifique Climatic Change.

Le rapport du séminaire du WWF de mai 2013 sur les défis et les opportunités de la transition énergétique en Belgique et en Europe.

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Un commentaire sur “80 % de gaz à effet de serre en moins en 2050: comment payer ça?”

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