Quand les étudiants font le printempsClés pour comprendre

9 décembre 2012

Au printemps dernier, des étudiants québécois sont sortis en masse dans les rues pour manifester contre une hausse de 75% des frais d’université. Cette grève s’était rapidement transformée en un vaste conflit social, mobilisant les défenseurs du droit à l’éducation pour tous. Michel Venne, fondateur et directeur de l’Institut du Nouveau Monde au Québec, revient sur les tenants et aboutissants de cette crise.

D’après vous, quels sont les éléments qui expliquent qu’un mouvement d’une telle ampleur a pu naître au Québec ?

Michel Venne est le fondateur et directeur de l’Institut du Nouveau Monde, une organisation tournée vers les jeunes, dont la mission est de développer la participation citoyenne et le renouvellement des idées au Québec. Il est également journaliste pour Le Devoir, un quotidien d’informations québécois.

La conjugaison de plusieurs éléments explique la force de ce mouvement. D’abord, il a été initié par le mouvement étudiant, qui est lui-même très structuré et institutionnalisé au Québec. Une loi assure son existence et permet le financement des associations étudiantes dans les collèges et les universités au Québec. Une base très organisée est donc identifiable. À cela, s’ajoute un autre réseau en-dehors des écoles et des universités, à savoir les Forums jeunesse régionale. Chaque région du Québec possède son propre forum jeunesse. L’une de ses missions est de susciter la participation des jeunes à la vie démocratique et sociale de sa région. Ces forums existent depuis une dizaine d’années et commencent à faire leurs preuves. Troisièmement, une réforme pédagogique a été mise en œuvre au Québec, quelques années plus tôt. Au départ, certains l’ont critiquée, car elle est vise surtout à l’autonomie de l’élève, le développement de ses compétences à l’oral et de l’esprit critique. Les jeunes qui ont participé au printemps érable sont ceux qui ont vécu cette réforme.

En plus de ces éléments structurants, le contexte actuel était propice à cette mobilisation. La crise économique de 2007-2008 nous a fait prendre conscience que le système dans lequel nous vivons est inéquitable et inadéquat pour répondre aux besoins des gens. Enfin, le gouvernement en était à sa neuvième année de pouvoir : usé, il ne suscitait plus l’adhésion, mais l’opposition et la désapprobation de la population. Cette marmite en ébullition a éclaté en faveur des jeunes qui ont initié le printemps érable.


Le 22 avril, lors de la traditionnelle Journée de la Terre, des militants écologistes, des artistes et des étudiants se sont rassemblés pour manifester contre l’exploitation des gaz de schiste. A Montréal, ils étaient près de 300 000 à dénoncer le plan Nord du gouvernement Charest, favorisant l’exploitation des ressources naturelles dans les territoires nordiques et quasi vierges du Québec, par des firmes privées. « Les deux mouvements qui se sont développés en parallèle ont fusionné ce jour-là. »

Après des mois de contestation, une paix sociale a été retrouvée. Quels sont les résultats tangibles de cette mobilisation ?

Premièrement, une prise de conscience que les jeunes ont quelque chose à dire. Deux cent mille personnes sont descendues dans les rues d’une ville d’un million d’habitants. On n’avait jamais vu cela… Durant trois mois, de grandes manifestations nocturnes ont rassemblé des milliers de personnes durant cent jours d’affilés. La société québécoise a compris que les jeunes étaient critiques face aux décisions du gouvernement en place.

Deuxièmement, on a assisté à un réveil de toutes les générations. Car si la contestation est partie des jeunes, des personnes de tous les âges ont rallié le mouvement.

Troisième résultat : une prise de conscience entre deux conceptions de la démocratie. L’une consiste à dire que l’on vit dans une démocratie représentative, dans laquelle des gouvernements élus tous les quatre ans peuvent faire ce qu’ils veulent entre les élections, même lorsque 200 000 personnes se mobilisent dans les rues. C’est la conception du gouvernement qui était en place au Québec. L’autre conception en présence consiste à dire que la démocratie se vit également entre les élections et qu’il faut désormais articuler la démocratie représentative et ses institutions avec des pratiques participatives entre les élections.

Enfin, le printemps érable a permis de bloquer une ancienne politique du gouvernement qui consistait à renvoyer sur les épaules des usagers, les coûts des services publics, plutôt que de continuer à les financer par un impôt sur le revenu plus progressif.

Autre conséquence du printemps érable, des élections provinciales ont été organisées. Que s’est-il passé ?

Après des mois de manifestations contre la hausse des frais de scolarité, le Premier ministre québécois, Jean Charest (Parti libéral), s’est vu obligé de demander la dissolution du Parlement provincial et déclencher ainsi des élections. Le gouvernement en place est donc sorti perdant. Jean Charest lui-même a été battu dans sa propre circonscription et a démissionné. Aujourd’hui, son parti est en train de se redéfinir. C’est le Parti Québécois (PQ) qui a remporté les élections. C’est le nouveau gouvernement en place de Pauline Marois, Première ministre de la province du Québec, qui a aboli la hausse des droits de scolarité, la cause initiale du conflit. Il a également aboli la loi spéciale* qui encadrait les manifestations. Une loi qui avait été décriée jusqu’aux Nations Unies… Ce gouvernement vient également de convoquer un grand sommet. Il s’agit d’une démarche qui s’étalera sur un an, et qui portera sur l’enseignement supérieur au Québec, et donc l’avenir de l’éducation.

FAVORISER LE VOTE DES JEUNES
En août 2012, l’Institut du Nouveau Monde a organisé une campagne Web pour susciter le vote des jeunes électeurs québécois lors des récentes élections provinciales (cf. interview). Plusieurs vidéos amusantes ont été réalisées avec la participation de personnes publiques, notamment. Ces spots ont été partagés sur les réseaux sociaux, afin d’inciter les 18-35 ans à se rendre aux urnes.

Dans ce contexte, que peuvent amener des plateformes citoyennes comme l’Institut du Nouveau Monde ?

L’idée est de créer des lieux et des moments qui permettent aux citoyens de participer à la discussion dans des cadres « non formels » qui puissent être intégrés dans les processus de décision gouvernementale. Car actuellement, des consultations parlementaires sont mises en place, mais le simple citoyen n’a jamais droit au chapitre. Le gouvernement dépose un projet de loi et les grandes parties prenantes (syndicats, patronats, etc.) viennent dire ce qu’ils en pensent. Les dirigeants des groupes organisés déposent tour à tour un « mémoire », préalablement rédigé par des firmes de relation publique. Et le débat s’arrête là.

Il faut donc créer des lieux plus accueillants, plus informels pour les simples citoyens. Il faut aller là où le citoyen se trouve et lui permettre, dans une optique délibérative, de s’exprimer sur les grandes politiques publiques. Il faut donc des organisations comme BruXitizen, l’INM et bien d’autres, pour venir capter cette parole citoyenne, la mettre en synthèse et la faire évoluer vers les instances décisionnelles.

Du vendredi 25 janvier au dimanche 27 janvier 2013, l’Institut du Nouveau Monde organise une «École d’hiver Spécial Sommet» en vue du Sommet sur l’enseignement supérieur. Quelque 500 jeunes issus des quatre coins du Québec, auront l’occasion de débattre de l’enseignement supérieur de demain.
Plus d’infos, ici: http://www.inm.qc.ca/

Interview réalisée par Delphine Denoiseux

Photos: Delphine Denoiseux © – le 22/04/2012, le Jour de la Terre – Montréal (Québec)

* La loi spéciale encadrant le droit de manifester (ou loi 78) a été dénoncée devant les tribunaux pour cause de restriction du droit de manifester et d’atteinte aux libertés. Cette législation prévoyait que les manifestants déposent leur parcours huit heures avant un défilé, en accordant à la police le droit de le modifier. Elle faisait également porter le risque de très lourdes sanctions financières sur les manifestants et les associations étudiantes, en cas d’infraction à la loi.

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